Extrait Chapitre VI 16, rue Jean-Bart Mostaganem

Mes deux frères, Guy et Patrick, sont nés à Mostaganem. Après ma naissance et la mutation professionnelle de mon père, cette belle ville située à 83 km d’Oran nous a accueillis.

     Le port était en pleine expansion et exercer le métier de « pointeur » sur les quais dans une importante compagnie d’acconage maritime et d’import-export d’agrumes était la grande fierté de notre père.

     Peut-être par mimétisme, volontaire ou inconscient, j’ai exercé pendant de longues années, après notre rapatriement en France, le métier de « métreur », nos deux métiers respectifs consistant pour l’un, à compter les caisses d’agrumes avant leur embarquement dans le ventre des bateaux et pour l’autre, à compter – métrer – les mètres cubes de béton ou les mètres carrés des matériaux nécessaires à l’édification d’un bâtiment !

      Notre modeste logement de trois pièces, sans cabinet d’aisances à l’intérieur, dans  cette imposante maison, nous a hébergés jusqu’à notre départ précipité en 1962. Le cercueil ou la valise était la sentence qui nous serait appliquée si nous restions sur place ! Cette injonction était écrite parfois de manière malhabile, de toutes les couleurs, sur les murs de la ville et elle avait fini par imprégner les têtes des plus récalcitrants au départ forcé !

     Cette belle et grande demeure était devenue, au fil des ans, qui nous conduisaient tout droit vers l’exil – mais nous ne le savions pas ! – le symbole de la contestation qui enflait dans les rangs de la population européenne – les pieds-noirs.  De par sa situation presque centrale, au carrefour d’axes routiers importants, de par sa hauteur, car elle dominait de son imposante stature les habitations avoisinantes comme une tour de garde, de par son inexpugnabilité due à une unique porte solide donnant vers l’extérieur de la rue Jean-Bart : cette « maison » hébergeait, au fil des besoins et des demandes, ceux qui devaient se soustraire à la vindicte populaire, ceux qui devaient se dissimuler aux yeux des oppresseurs et enfin ceux qui passaient une partie de la nuit à « taper » sur les casseroles ou les bassines, les fameuses cinq notes : trois longues et deux courtes : « Al-gé-rie – Fran-çaise ! » Ce tintamarre pour le moins inoffensif et en rien agressif – sauf pour les oreilles ! – se répercutait de maison en maison, de bâtiment en bâtiment, de quartier en quartier jusqu’à embraser toute la ville qui s’assoupissait après quelques heures de concert dans la moiteur des nuits mostaganémoises ! Quand les refrains « métalliques » faiblissaient en intensité, la répartie venait des gorges et des poitrines des femmes musulmanes qui poussaient leurs « youyous », enflant de rues en rues. Les communautés auraient dû continuer à se battre à coups de casseroles et de cris stridents pour éviter des affrontements plus terribles encore !

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