Chapitre 1 Il faut travailler!

 

Il faut travailler !

La nuit s’achevait dans la maisonnée, les petits bruits du réveil s’amplifiaient, les rêves et pour certains les cauchemars s’estompaient dans une atmosphère chargée des odeurs du sommeil et du dernier repas pris en commun dans la salle commune. Les premières sur pied furent Juana et Vicenta en charge du premier repas à prendre par les fratries rassemblées autour de la table bancale : quelques galettes de pain et du lait de chèvre à partager entre tous les convives de cette misérable demeure. Les rayons de soleil filtraient maintenant à travers les petites ouvertures donnant sur la ruelle, seules taches lumineuses et tremblotantes sur les murs décrépis, la veilleuse de la Vierge s’étant assoupie dans la nuit. Après avoir partagé avec les enfants et leurs épouses le peu d’aliments présentés sur la table, Juan et José sortirent sur le pas de la porte pour mettre au point les démarches à accomplir dans la journée.

  –    Nous allons voir de ce pas mon patron pour qu’il t’embauche rapidement s’il le peut. Je travaille pour lui depuis que je suis arrivé dans cette ville. Ce n’est pas tout à faitce que je voulais mais bon, il faut bien s’adapter ! 

Juan ne répondit pas tout de suite mais ce qu’il venait d’entendre ne le rassurait pas car il pensait que trouver un emploi était chose facile de ce côté de la Méditerranée et c’était bien pour fuir la misère et trouver  à s’employer qu’il avait immigré avec sa famille, et le doute s’infiltrait de nouveau dans son esprit. José se rendit compte du changement d’attitude de son ami, son visage soucieux et le rassura :

   –    Allons ne t’inquiète pas, disons au revoir à nos familles. Vamos.. – Allons-y.. – ! 

L’air déjà tiède en ce début de matinée fit du bien à Juan et la confiance qui l’avait un peu abandonné revint, suivant d’un pas décidé et alerte son ami qui le précédait dans ce dédale. Le quartier s’éveillait dans la douceur des bruits matinaux, la vie reprenant pour un nouveau jour : les commerçants ouvraient leurs échoppes rangeant les étals et les marchandises, les marchands ambulants prenaient place aux croisements, déballant les petites tables sur lesquelles s’entassaient toutes sortes de bibelots, d’objets hétéroclites, les chèvres et les ânes recommençaient à brailler dans les ruelles avoisinantes, la populace déambulait et tout ce remue-ménage, contrairement à la journée passée produisait sur Juan un afflux de pensées positives : il se sentait déjà un peu chez lui !

Après une heure de marche ils sortirent enfin du quartier et durent gravir un chemin caillouteux et un peu raide car le port d’Oran était cerné par des collines ondoyantes sous les coups de butoir des brises marines. Le grand hangar fait de bric et de broc vers lequel ils se dirigeaient ressemblait à un grand vaisseau posé dans un océan de verdure. Excepté la toiture qui le coiffait tant bien que mal, le bâtiment s’ouvrait de tous côtés sur la nature environnante, et l’on pouvait voir à travers ces ouvertures béantes, les vapeurs colorées par les poussières soulevées à l’intérieur se ruer en ordre tourbillonnant en suivant la direction des courants d’air. Devant le portail d’entrée de la propriété, une petite guérite, dans laquelle se tenait un employé un peu rogue et bourru qui leur demanda l’objet de leur visite mais il se ravisa tout de suite car il reconnut à ce moment-là « el obrero» – le journalier – Maruenda José !

   –    Excuse-moi je ne t’avais pas reconnu, tu veux quoi ? Tu es en retard ce matin pour l’embauche et je crois que c’est trop tard pour aujourd’hui !

Le ciel et tout ce qu’il contenait de beau s’abattit d’un seul coup sur Juan qui courba les épaules sous le poids : tout s’écroulait autour de lui ! Sa première embauche qui lui filait sous le nez sans savoir pourquoi. La terre entière lui en voulait ! Cependant José qui devait avoir l’habitude de cette situation, revint à la charge :

   –    Je veux voir Henrique le chef d’équipe, dis-lui que je suis là avec un compatriote qui vient de Cástaras comme moi ! Va le chercher, j’attends ! 

Après des instants d’attente qui parurent interminables à Juan, deux hommes se rapprochèrent d’eux soulevant derrière eux la poussière du chemin en terre.

Henrique portait sur lui, dans sa démarche pesante, l’autorité que lui conférait sa position dans la petite entreprise de récolte de tabac : vêtement de travail à peu près propre, espadrilles presque neuves, mouchoir autour de cheveux gominés, ceinture en tissu rouge qui lui ceignait le ventre quelque peu rebondi et de belles moustaches bien luisantes.

Et surtout un sourire contraint pour accueillir le nouveau « journalier » qui se présentait à lui.

Sans un regard pour José, il s’adressa à Juan :

   –     Si j’ai un conseil à te donner maintenant c’est de te présenter à l’heure à l’embauche du matin. Ici nous embauchons suivant les besoins de la journée et après l’heure ce n’est plus l’heure. Tiens-toi le pour dit ! Et dernier conseil sois prudent avec José car il ne respecte pas les horaires. Pour aujourd’hui c’est fini mais si tu reviens demain matin je t’embaucherai et ici, tout le monde le sait, je n’ai qu’une parole ! 

Il serra franchement la main de Juan en lui disant :

   –     À demain 

Rasséréné Juan le regarda partir vers l’atelier en pensant que son sort était dans les mains du contremaître, mais il reprit confiance après ce court dialogue.

Le lendemain, arrivés à l’heure, Juan et son ami se firent embaucher pour la journée, pour décharger les feuilles de tabac provenant des champs de culture alentour.

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