Embarquement à Alger
Dans les lueurs du soleil couchant, à travers les brumes dégagées par la côte nous apercevons enfin le port d’Alger avec soulagement. Tout barbouillés encore par les douloureux moments vécus dans la tempête, nous assistons curieux, aux dernières manœuvres d’accostage du Mandourah. Le commandant nous annonce qu’il faudra patienter avant de débarquer car notre prochain navire n’est pas encore entré dans le port, mais cela ne saurait tarder. Mes frères et moi saisissant cette accalmie au bond, nous rencognons dans un escalier extérieur du second étage du « château » pour assister à l’embarquement des marchandises.
Le bruit des grues, les cris des marins, les couleurs des grandes palettes de marchandises et les oiseaux marins piaillant autour du bateau et des hommes, tout cela nous changeait les idées et nous faisait oublier pour un temps ce que nous faisions, là dans ce port, sur ce navire, désemparés. Antoinette, les yeux dans le vague doit penser à son homme qui au même moment se trouve à plus de trois cents kilomètres d’elle mais nous sommes- pour combien de temps encore ? – dans notre pays.
Après une heure d’attente – mais est-ce que la fuite du temps compte dans cette situation qui nous dépasse ? – l’officier en second nous annonce que notre prochain moyen de transport, l’Amalthée, vient de rentrer au port et que nous allons pouvoir faire le transbordement assez rapidement. Tout heureux de cette nouvelle aventure, nous filons dans la cabine pour préparer nos affaires et redescendons très vite pour nous mettre aux ordres de l’officier. Les remerciements et les adieux faits au commandant et aux hommes d’équipage -tout le monde s’était bien occupé de nous pendant la traversée- nous avons suivi l’homme, nos valises à la main -sans oublier la ménagère d’argent- pour embarquer sur notre nouveau navire en partance pour Marseille dans la soirée.
À notre grande surprise nous retrouvons d’autres passagers -déracinés en partance- avec des enfants de notre âge, sur ce bateau « fruitier », transportant des agrumes et des primeurs dans des caves ventilées électriquement. Mr Serres, le patron de Sauveur avait bien organisé le voyage de retour de ses employés et encore une fois nous avions beaucoup de chance. Car dans le port d’Alger la « blanche », les départs ne se présentaient pas du tout comme le nôtre.
Le Kairouan, accosté un peu plus loin, le grand bateau blanc, avec ses multiples ponts était pris d’assaut par toutes les familles partantes comme nous, nouveaux migrants qui devaient laisser sur cette terre natale, toutes leurs vies d’avant, leurs richesses ou leurs pauvretés, leurs traditions, leurs cultures brassées par les siècles.
Par dessus tout, leur amour pour ce pays ensoleillé !
Nous, sans précipitation, dans le calme, entamions notre deuxième voyage maritime avec notre mère !
Quand nous avons vu le port s’éloigner, puis la côte algérienne se fondre dans les blanches vapeurs de la mer, nous avons pleuré notre pays, nous donnant la main pour nous insuffler le désir de survivre…