Chapitre 2 – Vacances d’été à Oran

Vacances d’été à Oran 

Pour les grandes vacances d’été nos parents invariablement, nous emmenaient rendre visite à nos familles qui demeuraient à Oran. La distance qui séparait les deux villes, 80 kilomètres environ, se déroulait soit en autocar soit en train car nous n’avions pas de voiture particulière. Car Sauveur n’avait jamais voulu passer le permis de conduire, « cela ne sert à rien et puis il y a les transports en commun ! ». C’était sa litanie !

Enfants, cela nous plaisait de voyager collectivement, de pouvoir observer les gens que nous ne connaissions pas et de pouvoir admirer les paysages sereinement. C’était la grande aventure à chaque voyage et le temps des découvertes !

Le circuit oranais nous conduisait tout droit au n° 38, bd Marceau, immeuble assez imposant par ses façades hautes, ajourées de coursives intérieures dans les derniers niveaux, en face de la gare centrale, pour visiter les grands-parents Alonso, parents d’Antoinette. Généralement notre arrivée ayant été largement répandue dans notre grande famille, les oncles, les tantes, les enfants des uns et des autres, tout ce joli monde nous embrassait, nous cajolait et nous demander les nouvelles en provenance de Mostaganem…

Puis nous laissions les « grands » entre eux et nous pouvions nous amuser à la trottinette ou aux patins à roulettes dans la grande cour de cet immeuble haut de 7 ou 8 étages, avec l’interdiction formelle de sortir sur le boulevard sans être accompagné par un adulte.

Puis après quelques jours passés sur place, nous nous dirigions dans la bonne humeur et à pied vers le n° 56 de la rue du Général Leclerc, l’immeuble qui abritait la famille Sans composée de Germaine, la sœur de papa, Vincent son époux (mon parrain de baptême), nos cousines et cousins : Vincent, Sauveur, Madeleine (Mado pour les intimes) et Jean-Yves.

La population d’Oran composée en majeure partie de familles d’immigrés espagnols, les déambulations dans les rues donnaient à voir toutes les manifestations des traditions ramenées dans les nombreuses valises au cours de leurs exils. Les interpellations en langue espagnole coloraient l’espace sonore des rues, les odeurs des plats typiques étalés dans les vitrines ou à même les trottoirs se répandait dans l’air surchauffé, les musiques et les chants du pays natal couvrant les bruits des moteurs des véhicules. Tout cela, y compris les couleurs des habits traditionnels, tout, rappelait le sol natal quitté à cause de la famine et de la misère.

Mais la nouvelle terre d’accueil avec ses emplois dans les champs et dans les nouvelles industries sans oublier les travaux de mise en valeur de la ville, donnait du travail et permettait aux familles de vivre décemment. Nous avions devant nous sans nous en douter, l’expression de nos racines ancestrales à travers les chants, les costumes et les odeurs et nous recevions toutes ces images, ces sons et ces senteurs avec la candeur des enfants que nous étions : mais nous ne le savions pas !

Mais revenons à la famille Sans, cette belle famille qui accueillait en son sein depuis plusieurs années, notre grand-mère commune côté Carrulla, surnommée affectueusement la « Goulouna », son mari Vicente Salvador Florencio, était déjà décédé et nous ne l’avons pas connu ! Je me souviens d’une grande personne par la taille (dans la famille Carrulla nous sommes plutôt au-dessus de la moyenne et nous nous référons toujours à notre grand-mère !) Elle était très affectueuse, très gentille avec ses petits-enfants mais elle ne supportait pas l’image qu’elle pouvait donner d’elle-même car toujours couchée à cause du diabète, elle était paralysée des membres et mal voyante. Et elle avait beaucoup de mal à distinguer qui de nous se trouvait devant elle. Mais son visage volontaire, aimant, ouvert et son regard bleuté par ses belles prunelles n’exprimaient jamais ou à peine, les souffrances qu’elle devait endurer en silence et dans la prière car très pieuse.

Au moment où j’écris ces quelques lignes je pose mon regard sur les photos de la « Goulouna », bien sûr un peu jaunies par le temps mais rayonnantes de tendresse et d’espoir et je suis fier de tous mes grands-parents.

Le logement des Sans se gagnait en montant un bel escalier mais l’arrivée se faisait en haletant car nous devions gravir 3 étages ! L’immeuble était cossu, de belle facture avec de grands balcons et des ouvertures larges et hautes pour laisser entre le soleil à flots continus.

Les adultes se retrouvaient autour de la table de la salle à manger pour raconter les attentats, les derniers développements politiques et les évènements qui ponctuaient la vie quotidienne en cette année 1961. Tout cela en chuchotant car il ne fallait pas que les enfants entendent toutes ces horreurs !

C’est dans cet appartement, dans cette chambre au fond du couloir transformée en salle de jeux que nous jouions avec les soldats de plomb de la Grande Armée Napoléonienne et, après la guerre, – celle-ci était un jeu -les pleurs de ceux qui étaient défaits, emplissaient toute la maisonnée. Quelquefois les soldats de plomb laissaient la place aux batailles des chevaliers templiers avec de vraies épées en bois, de véritables écus rouges frappés de la croix blanche des croyants et nos tenues qui flottaient un peu car trop grandes pour nous !

Souvenirs d’enfance, que vous êtes beaux !

Souvenirs d’évènements tragiques, que vous êtes laids !

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