Les jours s’emboîtent les uns après les autres, monotones, sans saveur, sauf les heures de rendez-vous avec son fiancé de cœur qu’elle attend impatiemment. Les mêmes tâches ménagères et son travail de lavandière à la rivière qui se répète. Cependant son travail lui plaît. Cela lui permet d’être en relation presque amoureuse avec la nature et elle aime bien ça. Les chants des oiseaux lui manqueront c’est certain, si elle devait partir !
Maria n’a rien dit à ses amies, ni à son petit copain. Comment va-t-il prendre l’annonce de son départ ? Elle redoute un peu cet instant terrible pour les jeunes amoureux, dans la fleur de l’âge. Le temps de la déchirure approche. Les semaines s’étirant, le départ promis par le père viendra rapidement. Un jour ou l’autre. Il lui semble que l’attente transforme tout autour d’elle : les maisons ressemblent à des taudis, les gens suintent la pauvreté et le paysage aussi se défait doucement dans son regard. Commence-t-elle à s’habituer malgré elle au choc que sera l’exil ?
L’heure fatidique arriva un soir. Diégo se précipita sur sa femme, excité, et lui annonça qu’il avait passé un accord avec un patron de chalutier pour leur passage maritime. Sa femme compris tout de suite que la destination choisie par son mari ne pouvait être que l’Algérie, celle-ci se trouvant à quelques centaines de mille marins du port de La Manga. Pensant à son futur proche, elle imaginait déjà, les retrouvailles avec les familles qu’elles avaient connues autrefois au village. Toutes ces personnes étaient parties pour fuir la disette et les maladies qui ravageaient la région de Murcie. Eh bien, leur tour était arrivé ! Maria fut la première à entendre la nouvelle du départ prochain et en adolescente rebelle, mais obéissante, elle alla préparer les maigres affaires qu’elle emporterait avec elle. Les parents avaient toujours raison ! Surtout le père !
Après un trajet fatigant de quelques heures -ils emmenaient sur leur tête ou sur leur dos de maigres affaires- pour rejoindre le port, ils embar-quèrent sur le chalutier. Manuela, aidée par Maria, s’occupa de caser tant bien que mal, les enfants en bas âge, sur les filets encore inutilisés ou bien sur les cagettes à poissons, sièges bancals et malodorants. Diégo, quant à lui, prenait les conseils et les ordres du patron pêcheur, car il devait travailler pendant toute la traversée, son aide sera dé-comptée du prix du passage, c’était l’accord passé pour ce voyage clandestin. Les amarres furent lâchées et le navire de pêche tout doucement, s’éloigna de l’embarcadère de bois, comme à regret. Le vieux moteur vibrait à l’unisson de la vieille coque et des mâts. Les voiles encore affalées en boule sur le pont seraient bientôt hissées dans le vent pour donner de la vitesse.
La dernière jetée du port dépassée, la mer sans limite, avec pour arrière-plan l’horizon un peu mauve du matin, déversa dans les yeux de Maria le bleu profond de son immensité. Elle ferma les yeux et pensa encore une fois à son village, ses amis, son petit ami. À toute son adolescence qui restait là, par-dessus la mer immense et qu’elle laissait à regret. Mais elle espérait du fond de son âme que sa nouvelle vie, serait comme une seconde nais-sance. Dans un nouveau pays qu’elle voulait semblable au sien. Et qu’elle pourrait retrouver très vite des paysages en accord avec les couleurs, les sons et les odeurs de son enfance perdue à jamais.
Maria ne reverrait plus son pays natal. Elle ne changera pas de nationalité. Elle restera Espagnole jusqu’à sa mort en témoignage de son attachement à cette terre.