Union d’indigents

   Maria et Antonio se sont revus depuis la rencontre au bal. D’abord en cachette des parents, puis sans prendre de précautions particulières, quand, certains de leur amour réciproque, ils évoquaient leur prochaine union. Ils étaient heureux de vivre et riaient déjà à l’avenir qu’ils pressentaient peuplé d’une ribambelle de marmots. 

   Avec les amis de leur âge, ils allaient souvent au bord de l’eau pour prendre des bains de mer dans une petite crique, à l’abri du vent, dans une des nombreuses plages de la côte oranaise. Quand Maria, telle une ondine sortait des vagues écumantes, l’eau coulant de ses longs cheveux et suivant la courbe de ses hanches, le cœur d’Antonio battait plus que de coutume. Il se disait qu’il avait eu beaucoup de chance de la rencontrer et que toutes les années qu’il avait encore à vivre, il les passerait avec elle. Ses baignades, avec elle, resteraient à jamais gravées dans sa mémoire. Les corps allongés, sur le sable chaud et humide, ils se sentaient sans se voir, ils se touchaient sans se caresser et ils s’aimaient unis par la pensée. 

   D’ailleurs ils étaient l’objet de moquerie de leurs amis qui ne comprenaient pas du tout leur manière de faire. Dans les soirées, au bal, au cinéma, la même histoire se répétait et rien ne les faisait dévier. Ils étaient seuls au monde parmi le monde et peut-être, se disaient-ils, que le grand amour n’avait pas encore effleuré les cœurs de leurs amis. Mais ils souhaitaient ardemment que le « coup de foudre » tombât un jour ou l’autre sur leurs amis ! 

   Un soir d’un mois d’été, quand le ciel et le soleil ont chauffé de concert les rues et les maisons, Antonio, encouragé par Maria, se présente au logement des Alonso et demande à voir le père de famille, Diego. Antonio, s’est rasé de près – excepté la moustache car il y tient -, a revêtu ses plus beaux habits, triturant sa casquette, les yeux baissés devant ce futur beau-père qu’il voit pour la première fois. À ses côtés, se tient droite et fière, sa femme Manuela. Elle ne montre pas la colère contre son mari qui se tient mal devant un prétendant et sa fille. Cette façon de faire lui étreint le cœur. 

   Marmonnant quelques mots, intimidé, Antonio lâche d’un seul trait :

   –  « Monsieur Diégo, j’aime votre fille Maria et je suis là, ce soir, pour vous demander sa main. Je l’aime de tout mon cœur et je ferai tout ce que je pourrais pour elle… Je travaille dur et je me conduirais en bon mari ! »

    Diégo, est assis grossièrement sur une chaise de bois, devant un verre d’absinthe, la bouteille bien entamée posée en évidence – il n’a pas respecté la promesse donnée à sa femme le jour de leur départ d’Espagne – bredouille à son tour : « Qu’il est heureux que sa fille se marie… qu’elle ait enfin trouvé un fiancé…et qu’il est d’accord sur tout… »

   Maria et Antonio sautent de joie et se précipitent tous les deux pour embrasser et étreindre Manuela. En un instant celle-ci revit comme dans un film, leur départ forcé de Murcie, tous les sacrifices consentis jusqu’à ce jour. Les yeux embués de larmes où se mêlaient le bonheur pour sa fille et la colère pour Diégo, se rapprochant de lui.

–   « Encore une fois tu ne te comportes pas comme un père ! Malgré ta promesse tu continues à boire ! C’est insupportable ! Tu ne sais pas te tenir ! Cela ne plus durer Diégo ! »

  Et s’adressant aux jeunes fiancés « Partez maintenant, je reste avec lui ! J’ai à lui parler !» 

    Les « novios » – fiancés – ne surent jamais la teneur des échanges entre Manuela et Diégo. Ils s’en doutaient. Mais ils ne voulaient pas ternir le bonheur qu’ils croquaient à pleine dent.

    Quelques mois plus tard, Maria et Antonio se mariaient sous le régime d’un « mariage d’indigents », sans fête, une simple réunion des deux familles, entérinèrent leur union amoureuse. Quelque temps après, Antonio se retrouva le seul homme dans la maisonnée car Diégo, toujours aussi porté sur la boisson, immigra vers l’Argentine avec une femme rencontrée lors de ses beuveries, laissant Manuela, sans ressources, élever ses trois enfants. 

    Maria et Antonio qui travaillaient, ménagère pour l’une et maçon pour l’autre, subvinrent aux dépenses de la famille Gimenez, s’occupant de tous les enfants. 

    Leur propre descendance naîtra un peu plus tard.

    Jeanne arrivera la première en 1910 et sera suivie de sept frères et sœurs dont deux mourront en bas-âge. 

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